27 janvier 2006

Transport de flocons du Sud

Janvier. -20oC. Dorchester Ontario.

Le froid pique. La fumée sort de la bouche du pompiste à l’image des camions qu’il remplit de diesel. Mon capot est grand ouvert, le pompiste rougi par le froid est grimpé sur ma roue avant pour laver les vitres sales de calcium séché. Ragaillardi par la chaleur qui s’évapore de mon moteur bouillant, je le vois sourire quand il aperçoit les mouches écrasées sur le pare-brise. Voilà des mois qu’ils n’en ont pas vu une au Canada! Je lui amène un petit vent du sud bien malgré moi. Les bibittes collées réchauffe sa dure journée passée au grand froid. Je le surprends à rêver de verdure dans cette si cruelle froidure. Son visage s’illumine, il se met à siffloter, et la fumée de sa bouche devient celle d’un train qui le fait voyager. Il part loin, très loin, là où il y a des mouches qui volent et des papillons qui dansent.

26 janvier 2006

L’Amérique est une ville.


Le long des autoroutes, nous nous côtoyons. Au gré du vent, notre communauté est disséminée dans la vaste ville de l’Amérique. Nous faisons connaissance pour la première fois devant un pâle café au restaurant ou au puits de ravitaillement, en attendant chez un client ou au terminal quand l’un arrive et que l’autre part. Le destin crée les prochaines rencontres. Ou pas. Parfois un mois plus tard, parfois trois ans, parfois jamais. Toutes ces connaissances nous rassurent. L’Amérique se transforme en une ville. Nous la cantonnons. Ses routes nous deviennent aussi familières que notre quartier. Comme des habitués, nous en sillonnons les rues, les commerces et les cafés que nous connaissons par cœur. C’est l’apanage des camionneurs.

À des milliers de kilomètres de notre port d’attache, nous sommes contents de nous croiser, comme si l’on se rencontrait à la boulangerie du quartier ou au supermarché. On se serre la main, on se tape sur l’épaule, on se fait une blague. Nous partageons nos nouvelles, nous alimentons les rumeurs qui se répandent comme la grippe dans toute l’Amérique.

La communauté est restreinte, mais dans chaque courbe, sur notre chemin, nous trouvons une connaissance.

À Dallas au Texas, en ligne pour le ravitaillement, Gaston se plaint, pour la forme, d’avoir attendu deux jours à Laredo à 22oC au mois de janvier, mais son sourire respire la sérénité.

À Texarkana en Arkansas, le temps d’un café, André me raconte ses déboires de la semaine, se plaignant qu’il ne roule pas assez, mais son langage corporel transpire la fierté de faire son métier.

À Wichita au Texas, Bob, un Ontarien, me parle de politique canadienne. Par anticipation, il a voté libéral. En abaissant le menton pour me regarder par-dessus ses lunettes, il me demande ce que je pense de notre nouveau Premier ministre, avec un petit sourire en coin. Il veut taquiner la Québécoise que je suis, sachant que peu de francophones ont voté pour les bleus.

À Lawton en Oklahoma, Hugo me dit les seuls mots de français que je lui ai appris : oui ! oui !, son fou rire dévoilant ses dents blanches contrastantes sur sa peau café au lait. La route se lit sur les sillons de son visage.

À Détroit dans le Michigan, nous tombons sur Joe, un jeune chauffeur de qui nous n’avions pas eu de nouvelles depuis trois ans. Nous l’abreuvons d’informations fraîches. Elles confirment les échos qu’il avait obtenus. Il nous annonce qu’il a changé de compagnie et lance fièrement qu’il a fait un deuxième enfant. Dans ses yeux bleus et dans sa voix, je sens que ses petits lui manquent.

À Windsor en Ontario, nous apercevons John, heureux propriétaire de son camion rouge rutilant, qui lui est fidèle depuis six ans. Nous montrant sa bague dorée, il nous présente sa nouvelle fiancée, fier comme un paon, des étoiles dans les yeux. Il file le bonheur sur la route avec sa dulcinée.

Au terminal à Coteau-du-lac au Québec, tandis que Mireille et Jean-François partent pour le Sud, nous rentrons.

Fait du feu dans la cheminée je reviens chez nous (Jean-Pierre Ferland). Avec des images et des personnages plein la tête. J’irai dans les cafés et les marchés entendre la rumeur de mon village : Montréal.

23 janvier 2006

Messages personnels

François Côté et Chad Boutin, faîtes moi parvenir un courriel pour que j'aie votre adresse. Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu!


Ce message sera suprimé lorsque vous m'aurez répondu. Mon courriel se trouve dans mon profil.

Sandra

Allez François! Chad m'a répondu.

Madonna se confesse sur mon plancher de danse

Pour lire cette note, il est préférable d'avoir écouté l'album de Madonna, Confessions on a dance floor au préalable.


En position assise ou couchée, voilà 24 heures que je n’ai pas marché. L’atrophie musculaire me guette, ma cellulite se croit reine. Sur la route, le camion file, entre les deux sièges je me faufile. Je branche mon baladeur dans les haut-parleurs et Madonna se confesse sur mon plancher de danse. Je m’élance et je suis sa cadence. Je bouge, je saute, je swigne, je cours, j’avance un pas, j’en recule un autre. Elle dit que je la pousse, « you push me », mais c’est elle qui me pousse. Elle me dit qu’elle aime New York, je lui dis que j’adore Montréal. Ma pompe vasculaire turbine, mes muscles chauffent. Mon front perle, mon dos ruisselle. Je souffre. Elle me demande pardon dans toutes les langues, mais je n’en parle que trois : « je suis désolée », « Lo siento, perdoname », « sorry ». Elle me tient en haleine que j’aime ou pas « Like it or not ». Elle me donne un coup de fouet, elle me revigore et repart comme elle est arrivée. Je lui dis merci pour cette confession sur mon plancher de danse.

Mes élucubrations à la sauce Louis-Gilles Francoeur

En ce jour d’élections et en toute modestie, laissez-moi faire une Louis-Gilles Francoeur de moi-même le temps d’un billet.

Depuis 2002, tous les camions de la flotte sont semi-automatiques. Il y a trois pédales comme dans une voiture manuelle, mais c’est le module électronique qui change les vitesses sans jamais se tromper, tout en l’ajustant au chargement. Les mains du chauffeur sont ainsi libérées et il peut se concentrer uniquement sur sa conduite sans se soucier du changement de vitesse. Le couplage de trois équipements de pointe : la transmission semi-automatique, les pneus larges (photo) limitant la friction des essieux de propulsion du tracteur d’environ 20 % et la génératrice ont permis à la compagnie de réduire considérablement ses émissions de gaz à effet de serre. Avant l’ère de la génératrice, nous devions faire fonctionner le moteur du camion pour garder une température ambiante confortable pour nous reposer. Voici les faits :

Un moteur de camion tournant au ralenti (sans faire de mouvement), consomme en moyenne 3.78 litres à l’heure.

Considérant les 24 heures d’une journée, soustrayant les 9 heures de conduite moyenne d’un chauffeur seul, il lui reste entre 14 et 15 heures, pour gaspiller du pétrole.

Il ne faut pas se leurrer, très peu de camions sont équipés de génératrice, parce que son prix d’achat est de 10 000 $ sans compter son entretien périodique. Sans cet équipement, un chauffeur qui veut dormir à moins de 15oC et à plus de 22oC doit faire fonctionner son moteur pour être confortable. Plusieurs chauffeurs, peu soucieux de l’environnement, laissent rouler le moteur même quand ils sortent se restaurer. Chez CAT, on a réglé le problème : si le camion ne roule pas, le moteur s’arrête automatiquement au bout de 4 minutes.

La moyenne d’idling (fonctionnement du moteur sans mouvement) de la compagnie est passée de 35 % à 5 %, économisant ainsi des millions de litres par année.

Depuis 2000, la moyenne globale de consommation de notre compagnie est passée de 45-48 litres au 100km à 34-38 litres au 100km. C’est énorme ! Considérant que les 475 chauffeurs parcourent 75 millions de kilomètres annuellement, faites les calculs comme vous voulez, il y a eu des millions de litres d’épargnés. Appliquons ces mesures à l’Amérique entière, ça grimpe à des milliards de litres !


Imaginez-vous si toutes les compagnies étaient obligées de le faire conformément à une loi ? Une autre pétition en vue ! Attendons le prochain ministre de l’Environnement et bombardons-le de courriel. Je vous laisse ça entre les mains…

Voici les solutions :

Équiper tous les camions d’une génératrice. Pour l’instant, c’est ce qui est le plus réaliste, d’autres solutions sont disponibles sur le marché notamment un équipement de chauffage fonctionnant avec les batteries sans faire rouler le moteur, mais au bout de quelques heures, les batteries faiblissent trop. Et l’air conditionné ne marche pas avec ce système.

Programmer les modules électroniques pour que les moteurs cessent de tourner au bout de quelques minutes s’ils sont équipés de génératrice.

Quand les camions sont équipés d’un moteur d’appoint, interdire le fonctionnement du moteur au ralenti dans toutes les provinces. Émettre de lourdes amendes à l’instar de l’état de New York qui donne des contraventions aux chauffeurs qui font tourner leur moteur plus de 5 minutes lorsqu’ils sont arrêtés. Remettre des constats d'infraction aux truckstops qui tolèrent de telles pratiques en patrouillant dans leur stationnement sur l'exemple de la Loi antitabac, qui donne aussi une contravention au commerçant.


Verrouiller la vitesse de tous les camions à moins de 110km (pour être réaliste, dans certains États la vitesse absolue maximale est de 70mph). C’est possible de le faire, puisque chaque camion est muni d’un module électronique manipulable au moyen de codes d’accès. Si on le fait pour nous, camionneurs, on le fera aussi pour vous, automobilistes. Ainsi, toutes les voitures et tous les camions ne pourraient rouler au-dessus, disons 110 km/heure puisqu’en sortant de l’usine, tous les véhicules seraient verrouillés sans possibilités d’en augmenter la vitesse. Avantages collatéraux : les policiers auraient autre chose à faire que des opérations séchoirs à cheveux pour se concentrer sur des choses plus importantes. Il y aurait moins d’accidents dus à la vitesse réduisant les coûts des assurances et les coûts de santé, les émissions de gaz à effet de serre diminueraient considérablement.

Qu’en pensez-vous ? Seriez-vous prêts à toujours rouler à moins de 110km/h même sur la grand-route ?

Installation au chalet de glace

Je suis présentement à Matthews dans le Missouri. Il fait un soleil radieux, un chauffeur promène son chien, j’ai les fenêtres ouvertes (na na na na nan!) Le Mississipi était splendide vu du pont se matin. Le soleil y miroitait, une barge poussait ses cargaisons. Je prends quelques minutes pour vous poster ce message.

Samedi soir, nous avons décidé de dormir au chalet roulant, histoire de se reposer pleinement avant le grand départ. Ainsi, dimanche au réveil, nous serons déjà prêts à partir très tôt. Nous avons fait le plein de nourriture à l’épicerie et pour la lecture, un saut à la librairie Champigny ouverte jusqu'à 22 heures tous les soirs. Nous parcourons les 75 kilomètres qui nous séparent du terminal, je lis la Presse avec ma lampe frontale, mon chapeau de paille molle à large bord calé sur la tête. Sachez que si l’on ne voit pas la route, on n’a pas mal au cœur quand on lit. Ça vous servira peut-être la prochaine fois que vous prendrez le chemin. C’est très utile à savoir quand on parcourt 10 000 kilomètres par semaine. Je ne pourrais pas me priver de lecture pour un mal de cœur. Et le confinement de notre cellule nous permet de lire plusieurs heures par semaine.

Au terminal, tandis que j’attends dans la voiture, Richard prend quelques minutes à pied pour faire le tour de la cour et trouver notre camion. Les mécaniciens l’ont pris pour un entretien préventif et ils ne l’ont pas remis au même endroit. C’est qu’il n’est pas facile de chercher un camion rouge parmi ses confrères identiques. Seul son numéro le différencie de ses pairs. Sa personnalité réside en son intérieur que nous avons aménagé. Richard le repère assez vite pendant que je l’attends dans la voiture pour transférer nos affaires.

Depuis maintenant près de six ans avec CAT, nous avons eu cinq camions flambants neufs, avec les plastiques sur les sièges et les matelas. Chaque fois, il y a des améliorations sur les équipements de bord. Maintenant, la compagnie nous fournit : un CB (radio permettant de communiquer entre camions lorsque ceux-ci sont à une distance de moins de 3 km environ), un mini réfrigérateur avec congélateur, les vitres et les miroirs à commande électrique (très pratique, quand on est deux chauffeurs aux gabarits différents qui changent quatre fois par jour). Bien entendu, les deux sièges à air sont entièrement ajustables, de même que le volant. Sans compter un moteur de 450 chevaux vapeurs, mieux adapté pour le type de transport que l’on fait et qui garde une vitesse plus constante avec un chargement lourd. Une suspension plus douce et plus absorbante, une isolation accrue qui diminue les bruits extérieurs, très pratique quand on dort en roulant. Des outils de pointes compris dans un tableau de bord digne des cabines de pilotage d’avion de ligne. Une génératrice qui, en soi, est un moteur diesel fournissant l’électricité pour nos appareils ménagers, et chaleur ou fraîcheur lorsque l’on habite le camion sans faire rouler le moteur. Le travail est de plus en plus agréable dans ces conditions de plus en plus favorables.

Un autre chauffeur est en train de charger son camion de ses effets personnels. Il y a une trentaine de camions en attente de rouler, signe qu’autant de chauffeurs sont en congé.

L’expression métro-boulot-dodo prend un tout autre sens dans notre cas. Nous faisons les trois au même endroit ! En fait, la cabine du camion, qu’on dit compartiment-couchette, est bien plus qu’une couchette. Elle sert de cuisine, de salon, de bureau, de cinéma, de bibliothèque, de garde-robe, de garage, de chambre, et même de toilette. C’est aussi une salle de loisir pour lire, regarder la télé ou clapoter sur l’ordinateur. Elle est notre résidence ultra mobile et nous ne la quittons que pour rentrer chez nous. À mon avis, c’est plus confortable qu’une chambre d’hôtel, en tout cas, plus personnel. Tout notre équipement y reste en permanence pour une plus grande facilité d’installation. Tout y est à portée de main, littéralement. Assise sur mon lit, j’ouvre le réfrigérateur, je place mon repas dans le four à micro-onde au-dessus de ma tête, j’ouvre un tiroir, je fais griller mon pain, j’allume la télé, je mets un film, je me retourne et choisi un livre dans la bibliothèque, j’allonge mon bras, je prends une nouvelle chemise dans la garde-robe. La cabine nous permet d’être debout sans toucher au plafond et couché sans toucher au mur. Elle est large comme un lit et haute comme un homme de taille moyenne.

Richard me passe tous nos effets personnels sur le siège du passager, je les place dans le camion. Je me sens comme dans un congélateur, ma bouche fait de la fumée. Tout est gelé, le bidon d’eau est un bloc de glace, le reste de café est une sloche, les conserves en boîtes sont givrées. Je garde mes bottes Sorel, mon chapeau, ma canne et mon foulard comme le bonhomme hiver, pour tout placer le temps que ça réchauffe au ronronnement de la génératrice. Le rituel de l’appropriation de l’espace me prend une demi-heure à chaque départ. Nourriture, vêtements, livres, musiques sont placés dans leur petit compartiment pour nous donner un peu de confort et l’impression d’être chez nous. Une seule personne peut placer les choses : à deux, on se pile sur les pieds. Pour cette raison, lui s’occupe de la technique concernant le camion, et moi, je suis la préposée au confort intérieur. Nous ne nous parlons pas, nous savons ce que nous avons à faire sans avoir à prononcer une parole. Depuis six ans nous répétons les mêmes gestes, la communication verbale est inutile.

Je place soigneusement les repas congelés du côté anglais. En dégelant, c’est du côté français qu’ils coulent puisque l’assiette à l’intérieur est toujours placée du côté anglais. J’ai remarqué ça une fois en ramassant les dégâts… C’est quasiment discriminatoire! Le mini-réfrigéraeur peut contenir de quoi tenir pour 3 ou 4 jours à deux chauffeurs. Nous devrons nous arrêter au moment opportun pour refaire le plein de denrées. Sauf rares exeptions, manger dans un restaurant sur la route ne nous procure aucun plaisir, nous considérons que c’est une perte de temps. Nous préférons nous arrêter à l’épicerie pour acheter de quoi se nourrir et ainsi mieux contrôler ce que nous mangeons. On fait tout en roulant : manger, dormir, lire, écouter de la musique ou la télé. Les arrêts sont soigneusement étudiés pour les douches et le sommeil.

J’entends Richard placer les outils dans le coffre sous le lit accessible de l’extérieur.

Je place les livres dans les compartiments du mur au fond qui sert de bibliothèque. Les derniers numéros de Châtelaine, l’actualité et Elle Québec vont nous permettre de rester connectés à la réalité de chez nous. Tandis que mon Bescherelle des verbes anglais et mon dictionnaire Password reste en permanence dans le camion, j’apporte toujours un ou deux romans. Cette fois, c’est le roman du Danois Peter Høeg, « Smila et l’amour de la neige » qui me tiraillera entre le goût de vous écrire et l’envie irrésitible de le terminer. L’Ange et le Monstre de Jean Barbe sont aussi du voyage.

Richard s’installe au volant et nous transporte près du bureau. Mes tâches se compliquent en roulant dans un stationnement de gravier. Je me tiens sur les poignées que je peux attraper pour ne pas tomber tout en continuant de placer des vêtements.

Au bureau, payes, permis, messages spéciaux nous sont adressés. On prend des nouvelle de l’un, de l’autre. Ce soir, Michel est de garde, il gèrera la flotte de 475 camions pour la nuit, nous pouvons compter sur son aide. Nous en avons effectivement besoin. En inspectant minutieusement le camion qui sortait de son entretien préventif, on a constaté une fuite de carburant au niveau du filtre à fioul. Michel nous appelle une dépaneuse. Toute la beauté d’être simple employé versus propriétaire opérateur réside dans cette aide, nous n’avons pas le souci de faire les réparations mécaniques ou de les payer. Le problème est vite réglé les chauffeurs ont l’œil vif… Le mécanicien lui dit qu’il n’y a pas de fuite, mais mon compagnon insiste et va la lui montrer. L’homme dépanneur a l’air fou et il resserre le filtre qui venait d’être changé. Une erreur du garage de la compagnie suivi d’une erreur d’un mécanicien ambulant. 23 heures 15, nous sommes fins prêts à accrocher la remorque. Les événements des derniers jours m’ont épuisé, je tombe raide morte sur mon lit de camp pendant que mon compagnon fait la cueillette de la remorque.

Allez, je poursuis ma route…

Bonne Journée!

21 janvier 2006

Bienvenue à tous mes nouveaux blogolecteurs !

Fou de Bassan fut mon premier blogolecteur, mais je l’ai perdu de vu ! Il me boude. Il doit penser que la radio me monte à la tête. Où es-tu Fou de Bassan ? J’aimerais lui dire que je ne l’ai pas oublié et que j’aime son point de vu d’oiseau.

Merci de me lire avec autant d’enthousiasme, je vais faire de mon mieux, pour vous rapporter un juste portrait de notre métier.

Devinez où je vous emmène? Prochaine destination : Dallas. Nous devons y être très tôt mardi, donc nous partirons dimanche matin. Vous comprendrez qu’avec trente heures de conduite continue, je n’aie pas le temps de vous entretenir chaque jour. J’ai quelques textes qui marinent, dès qu’ils seront à point je les poste.

Pendant que vous regarderez « Tout le monde en parle » ou «Star Académie», nous serons quelque part dans le Michigan ou l'Ohio, peut-être même en Indiana.

Dans les coulisses de la société de consommation

Nous sommes à l’arrière-scène de la société de consommation. Nous vivons le libre-échange à chaque fois que l’on traverse les douanes. Pourtant croyez-vous que je dis : « Vive Brian Mulroney ! » à chaque fois ?

L’examen de conscience est permanent à mesure que je déroule l’asphalte. Je n’ai pas honte de polluer, c’est plutôt à l’envers que je vois les choses. Je ne roulerais pas si vous n’achetiez pas (vous m’incluant aussi). Au volant, il ne faut pas être dépressif, parce que le noir vient nous broyer l’esprit en moins de deux.

Les gens en ont souvent contre les poids lourds : ils sont gros, ils font peur, ils polluent. Des bêtes polluantes ambulantes ! Mais ils ne se rendent pas compte que nous sommes le sang de l’économie, que nous transportons tous leurs biens pour leur petit confort. Ils ne réalisent pas que tout ce qui se trouve autour d’eux a été trimballé dans une remorque tirée par un camion comme le nôtre. Sur quoi êtes-vous assis en ce moment ? Avec quoi me lisez-vous ? C’est l’un d’entre nous qui vous l’a apporté. Partant de cette prémisse allons un peu plus loin.

J’aimerais vous emmener dans les coulisses, suivez le guide.

Les quantités phénoménales de marchandises transportées chaque jour sont hallucinantes. La même sensation que de penser à l’infini, sauf que dans ce cas, l’infini a une fin, et c’est la fin de nos ressources qui se rapproche. Ce qui m’a le plus frappé, ce sont les usines de vaisselle jetable. Une abomination fumante ! Des empilages astronomiques, des centaines de camions remplis jusqu’au toit pour la distribuer dans tous les restos-minute, cafétéria et bureaux de travail. Et maintenant, les épiceries qui se mettent de la partie en emballant tous les fruits et légumes dans des contenants de polystyrène, non biodégradables, pour nous en vendre plus. Des millions de verres qui sont jetés après usage retourneront à la terre par d’autres moyens polluants.

C’est à la suite d’un transport de gobelets de styromousse que je les ai boycottés. J’ai repris la route avec un sentiment d’aberration, d’impuissance. Depuis, je traîne ma tasse dans tous les restos-minute et nous récupérons tout ! Même en camion. Voyez sur la photo. À la fin d’une semaine, à notre grand désespoir, nous vivons ensevelis sous la montagne de nos déchets recyclables, nous faisant prendre conscience encore plus de notre consommation. Parce qu’évidemment, sur le chemin, c’est impossible de repérer une seule poubelle de récupération dans toute l’Amérique (sauf en de rares endroits en Illinois). À notre retour, on fait un petit détour par le centre de recyclage pour calmer notre for intérieur et poursuivre avec le sentiment du devoir accompli.

Même ici, ce n’est guère mieux. Quelle ne fut pas notre surprise, quand nous sommes allés nous restaurer à la cafétéria du musée des
Beaux-Arts de Montréal, et de n’y trouver que de la vaisselle jetable sans aucune possibilité de la recycler ! On a mangé avec un petit mal de cœur. (Un déluge de courriel, ça ferait peut-être changer les choses… avis aux intéressés)

Un jour, nous avons transporté du denim du Québec jusqu’à El Paso au Texas. Les documents du chargement indiquaient que le coton, tissé et teint à Drummondville, provenait du Mali à 75 % et des États-Unis à 25 %. Les rouleaux ont roulé avec nous pendant 3820 km jusqu’à El Paso. Par la suite, ils ont été expédiés dans les maquiladoras au Mexique pour le compte d’un détaillant connu. Les produits finis, cousus par des petites mains mexicaines, ont retraversé la frontière pour être distribués aux quatre coins de l’Amérique. Le pantalon bleu denim, que vous portez très souvent, a parcouru des dizaines de milliers de kilomètres polluant tout sur son passage. Peut-être en avez-vous un sur le dos en ce moment.

S’il te plaît !
Laure Waridel, viens à notre secours ! Est-ce que ça existe des vêtements équitables, fabriqués près de chez nous et qui n’ont pas voyagé des milliers de kilomètres avant de nous parvenir ? Je ne pense pas que l’on fera pousser du coton de si tôt au Québec. Dans ces conditions, faudra-t-il se remettre à l’habit traditionnel ? (Ce n’est pas tellement sexy une chemise de chasse et des caleçons de laine à grand manche avec la trappe à l’arrière). Alors « vive la fourrure recyclée libre » et au diable Brigitte Bardot !

18 janvier 2006

Camionneuse à la radio !

Ce matin, Marie-France Bazzo de la radio de Radio-Canada, a réalisé une entrevue dans le cadre de sa chronique « Nous c’est vous ». Et bien cette fois, vous, c’était moi ! Ce fut une expérience pas mal plus stressante que la première fois que j’ai fait un reculons avec mon camion et ma remorque ! J’étais dans ma cuisine sous un amoncellement de boîtes en vue de mon déménagement prochain. Richard est allé m’attendre au café du coin pour ne pas me déconcentrer. Même si nous étions séparés, nos cœurs battaient au même rythme accéléré. Il a fait changer le poste du café pour syntoniser Indicatif Présent. Il était tout rouge (il est très timide) et tout fébrile. Il avait peur pour moi, que je dise une bêtise en direct ou que notre gros minet accroche le fil du téléphone, ou que je m’évanouisse de stress. Mais voilà, comme par magie, Marie-France, pleine de chaleur humaine, nous met à l’aise et le stress disparaît. Dire que j’avais peur de parler comme une chèvre!

Merci Marie-France pour tous tes incroyables compliments. L'effet Bazzo est stupéfiant... Je vais bientôt manquer de temps. Conduire 70-80 heures en 10 jours, écrire et répondre à tous. Je ne sais pas si je vais y arriver ! Maintenant, je pense que je devrai écrire encore plus vite que je roule...

Prochaine destination toujours inconnue. Vous aurez des nouvelles probablement samedi.


Voici une autre chance d’entendre l’entrevue si vous l’avez ratée. Elle sera disponible dans les archives comme toutes les autres :
www.radio-canada.ca/radio/indicatifpresent/chroniques/68547.shtml

16 janvier 2006

Réveil nocturne

2 heures 45 du matin.

Badang ! Badang ! L’assiette du four à micro-ondes zigonne comme un réveil qui sonne. Je me réveille en retenant mon souffle pour éviter de le perdre à chaque secousse. Je sais qu’on est arrivé dans le Michigan. Le tracteur et la remorque suivent la houle de l’autoroute de béton rongé par l’usure. Les fissures sont colmatées avec un bitume de mauvaise qualité. À intervalles réguliers de cinq ou dix mètres, une ligne traverse la voie. Dans mon lit, je les sens comme des vagues sur une mer agitée. Les ressorts du matelas s’enfoncent dans ma peau. La cabine est secouée. Mon corps se crispe pour éviter les coups, il n’a pas le temps de se décontracter entre chaque secousse. Les coups viennent sans donner de répit. Je suis mise K.O.. Les routes du Michigan sont de véritables instruments de torture. Vingt minutes à se faire brasser ainsi, impossible de me rendormir… De toute façon, je dois me lever pour traverser la frontière à Detroit. Le calme reviendra au Canada. Qui disait que les routes étaient plus belles chez le voisin ?

Leçon de conduite : l’anticipation

Dans la bretelle d’accès d’autoroute, j’écrase l’accélérateur. La puissance me colle à mon siège et me rappelle un décollage d’avion. Dans mon miroir de gauche, je vois deux camions à la queue leu leu arriver à pleine vitesse. La bretelle est trop courte pour que j’entre à 100 km/h. Le signe « céder le passage » a été conçu pour les voitures au moteur puissant, non pas pour un camion chargé. Dès qu’ils m’aperçoivent, sans jamais réduire leur vitesse de croisière, ils se déplacent dans la voie de gauche pour me laisser le champ libre. Deux automobilistes les suivent de loin et ralentissent pour me laisser passer. Pourtant, la voie de gauche était aussi libre pour eux. Si je freine, je m’insérerai à une vitesse dangereusement basse. Tout de suite, je remarque l’expérience et l’anticipation d’un chauffeur professionnel. Les deux camions me dépassent, je leur fais un appel de phares pour les remercier. Tous les deux me renvoient la pareille avec les feux clignotants de leur remorque. Avec mon lourd chargement, je prends quelques dizaines de secondes pour atteindre une vitesse de croisière. Les voitures commencent à trouver le temps long derrière : elles changent de voie et me dépassent.

Bien que leur intention soit louable, si, comme les chauffeurs de camion, à la seconde où elles m’avaient aperçue, les voitures avaient regardé dans leurs miroirs, elles auraient tout de suite vu qu’elles pouvaient changer de voie. Les automobilistes sont souvent obnubilés par l’avant et omettent de regarder ce qui se passe derrière. En ces temps où Kyoto dicte notre conduite, (et le prix élevé du prétrole), les camionneurs sont obsédés par le maintien d’une vitesse constante pour économiser temps et argent. Ralentir coûte cher ! Et vous ? Que faites-vous quand vous voyez un camion entrer sur l’autoroute ?

Un BBQ dans une roue...


Le BBQ au Texas, c’est la tradition. Chaque maison, de même que chaque lieu de travail ont leur propre BBQ. Et si on n’a pas les moyens de s’en acheter un, qu’à cela ne tienne, on s’en fabrique un ! Ici, les BBQ ne se font pas au gaz ou avec des briquettes comme chez nous, mais avec un feu de bois de mesquite (photo). C’est un bois franc très dur qui pousse dans le climat aride du Texas. Et pas besoin d’aller le bûcher soi-même, on en vend dans toutes les épiceries. Il n’est pas rare ici de voir des gens de bureau se faire un festin au BBQ pour l’après-midi (le dîner se prend vers 14 heures au Texas et au Mexique).

Quelle chance en ce vendredi 13 de voir et goûter un tel spectacle ! Pendant que nous attendions notre prochaine assignation, nous avons eu la chance de voir à l’œuvre un employé (j’ai oublié son nom…) qui travaille pour CAT au terminal de Laredo. Avec des bûches de bois de mesquite, il a fait un feu dans une roue de remorque. (Débrouillards ces Texans !!!) Ensuite, il y a directement déposé, ce que j’appellerai un wok texan, parce qu’il a quatre longues pattes de métal d’environ 30 cm. Il a fait revenir de la viande de bœuf, de porc et de poulet (en saucisse) avec de l’oignon, qu’il a mouillé de bière. Quand ce fut cuit, il a ajouté des piments de toutes les couleurs et des tomates. À la toute fin, il a déposé de la coriandre. Il y en avait pour tous les employés de bureau et du garage (ils sont environ 15-20). Il en est resté pour les chauffeurs qui rodaient autour du feu… Nous avons roulé le mélange chaud et odorant dans des tortillas de farine de maïs. C’était vraiment délicieux !

09 janvier 2006

Déjà 96 heures que l'on roule...


Voilà maintenant plus de 96 heures que nous roulons. Nous avons eu les temps de nous rendre à Laredo au Texas et de revenir en Ontario. Je n’arrive pas à maintenir le rythme d’écriture, j’espère que vous comprendrez. Je roule plus vite que j’écris ! Les vacances nous épuisent ! Pour se reposer, il faut travailler… Dès que l’on arrive chez nous, nous voulons tellement en faire que nous en avons pour quelques jours à nous en remettre au retour au travail. C’est ainsi que depuis jeudi dernier, je me repose tous les après-midi. Il faut dire qu’un roman m’a tenu en haleine pendant 3 jours, mais je viens de le terminer, alors ça me laissera le temps de vous écrire. Nous ne sommes même pas encore rendus au Québec, que déjà, un autre voyage pour Laredo nous attend. Ce sont les voyages les plus faciles en équipe, il n’y a pas de perte ni contraintes de temps alors on peut récupérer plus vite en ayant une routine quotidienne. Le temps est à la grisaille et je n’ai vu Laredo que dans mes songes. Alors, je vous envoie une photo de bananier sur le terrain d’un truckstop pour agrémenter mon texte, mais elle n’a pas été prise pendant ce voyage. Je me suis réveillée et déjà j’étais en route vers le nord, Richard ayant effectué la livraison et la cueillette de l’autre remorque. Cette nuit, nous livrerons du Titanium ( faut pas se mélanger avec du plutonium aux douanes sinon on a des problèmes…) à Montréal. Demain matin, je prévois me réveiller quelque part entre Sherbrooke et Montréal pour faire la cueillette de nouvelle marchandise. Nous nous arrêterons dans quelques minutes pour poster ce message et pour prendre une douche (n’ayez crainte, ça ne sera pas la première depuis notre départ).

Je vous souhaite une bonne soirée !

08 janvier 2006

De la graine d'astronaute

Le jeudi 5 janvier

L’heure est au bilan!

La planète terre fait 12 756 km de diamètre à l’équateur. En 2005, nous en avons fait 24 fois le tour.


La lune met 27 jours 7 heures 43 minutes et 11.5 seconde à en faire le tour. Je vous annonce que nous sommes deux fois plus rapide : nous faisons plus de 2 tours de la planète terre pas mois.

En carrière, ça nous fait l’équivalent de 117 fois de tour du monde à l’équateur. J’en suis moi-même sidérée! Je ne pensais pas avoir de le graine d’astronaute!